Le 23 septembre 2021, Richard Bergeron suggérait dans une de ses chroniques régulières à l’émission Le 15-18 d’utiliser des téléphériques urbains, comme cela se fait ailleurs dans le monde, au lieu du REM de la CDPQ Infra à Montréal.
Bien sûr Richard Bergeron est un grand garçon et il est tout à fait libre de choisir les thèmes et sujets qu’il veut aborder.
Cependant, c’est quand même un peu étrange de l’entendre au fil des semaines traiter du sujet du REM et de faire des tours et détours pour aborder différentes solutions ou alternatives et ne jamais parler de l’une d’elles qu’il connaît pertinemment. En particulier dans l’émission du 23 septembre, où il s’est amusé à proposer un moyen de transport qui, dit-il, n’a jamais fait l’objet d’aucune attention. Un moyen de transport? Seulement un?
Je comprends la liberté d’expression d’un chroniqueur. Mais celui-ci est entouré d’une équipe, de journalistes, d’animateurs·trices, de réalisateurs·trices. N’y a-t-il donc personne à Radio-Canada pour vraiment faire le tour de la question et envisager toutes les possibilités dans cette saga du REM de l’Est et du Nord de Montréal?
Le processus du REM est vicié depuis le départ. Philippe Couillard a remis les clés de la Ville à la CDPQ et sa filiale CDPQ Infra. Il a signé avec Michael Sabia, en 2015, une entente béton leur donnant monopole et carte blanche et leur permettant de contourner tout règlement d’urbanisme, toute planification par les instances officielles de transport ayant existé jusque-là et ce, pour les 200 prochaines années à venir.
C’est proprement hallucinant.
Parce qu’on a de l’ambition à la CDPQ Infra. On veut prouver que notre REM aérien pachydermique fonctionne bien et est exportable.
Bien sûr on me dira que je ne suis pas objectif. Que je privilégie une solution en particulier. Et c’est vrai, c’est le cas. Mais si je le fais, c’est parce que la solution que je privilégie est de loin la meilleure. Et cela pour plusieurs raisons. J’oserais dire pour toutes les raisons.
Versions fantaisistes
Tant qu’à verser dans les solutions créatives à la Richard Bergeron et à transformer Montréal en centre de ski plat et horizontal, pourquoi ne pas développer une solution moderne qui a réellement du potentiel, de l’avenir, le pouvoir de créer des emplois de qualité ici même au Québec (au lieu de le faire comme Alstom en Inde) et qui a une grande polyvalence ainsi que la capacité d’être encore plus attrayant et exportable que le REM, même pour la CDPQ Infra.
Vous en avez vu beaucoup des téléphériques pouvant se déplacer à 250 km/h? Ou même seulement à 100 km/h dans un milieu urbain? Cher Richard, quand on veut aller de Repentigny au centre-ville de Montréal, on ne veut pas y consacrer toute la journée. On veut pouvoir le faire en moins d’une heure. Et ce n’est certainement pas un téléphérique qui va nous permettre de faire cela. Aussi agréables que soient l’expérience et la vue.
Débat truqué
Le débat, pour peu qu’il y en ait un, étant donné la puissance, le secret et l’obstination du promoteur et du gouvernement de la CAQ qui continue après les Libéraux d’appuyer le projet sans condition, a lieu entre une version aérienne – une seule – une version au sol et une version souterraine du REM. Comme s’il n’y avait que trois solutions. Et on s’obstine chacun de son côté sans concession. Ou si peu. La CDPQ a lâché un peu de lest après avoir servi de nombreux mensonges et a offert tout récemment une mini solution de 500 mètres de REM souterrain entre le centre-ville et le boulevard St-Laurent. Tant pis pour la suite, s’il faut qu’on écrase le tissu urbain de Montréal, on l’écrasera.
Disons-le tout de suite, si on veut absolument un transport souterrain, on n’a absolument pas besoin du REM pour ça. Il existe déjà depuis assez longtemps un métro à Montréal et si on tient absolument à creuser des tunnels, faisons-le pour ce métro. Ça ne coûtera pas un sou de plus et le REM n’y ajoutera absolument rien en terme de vitesse ou de confort.
Si on tient absolument à une solution au sol, on va devoir accepter de sacrifier des voies de circulation, des expropriations en masse, de longs et lourds travaux, beaucoup de cônes orange, et surtout d’aboutir à un système lent et coûteux. Parce que ce système va obligatoirement devoir composer et interférer avec la circulation existante. Les systèmes au sol séparent fâcheusement le territoire par où ils passent. Parce qu’un train léger ou un tramway ça implique des passages à niveau. On ne peut pas le traverser où bon nous semble.
Sans compter que la CDPQ Infra l’a dit et répété : elle ne veut pas d’un système au sol parce que trop lent et trop cher.
Finalement, il y a système aérien et système aérien. Tous ne sont pas les mêmes. Et celui que propose – en fait, qu’impose – la CDPQ Infra est tout sauf discret. Ce sera un mastodonte. Peu importe les recherches architecturales et la signature qu’on prétend lui donner, il impliquera deux trains « légers » qui voyageront sur deux voies ferrées séparées et posées sur une plateforme massive de béton, le tout surmonté de pylônes, de filage, de caténaires et de pantographes. C’est inévitable. C’est le système qu’a décidé d’adopter sans discussion possible la CDPQ Infra.
On entend souvent dire les gens que c’est horrible un système aérien. Pas pour les raisons que je viens d’énumérer. Mais parce que « les résidents vont voir passer des trains devant leur balcon et que cela va susciter du bruit et des vibrations ». Je veux bien. Mais qu’en est-il d’un train léger au sol. Les résidents du rez-de-chaussée n’en verront pas des trains devant leurs fenêtres, ils n’entendront pas de bruit, ne sentiront pas de vibrations? Les résidents du rez-de-chaussée sont habitués au trafic, ils ne comptent donc pas vraiment? C’est moins grave pour eux que pour ceux du 2e ou du 3e étage?
Le problème du REM de l’est et du Nord de Montréal, n’est pas qu’il soit en hauteur. Le problème c’est qu’il sera énorme et massif. Qu’il écrasera les rues où il circulera. Parce que le véhicule que privilégie la CDPQ Infra est loin d’être aussi léger qu’elle le prétend.
La véritable solution
Ce que nous proposons est à des années lumière de ce qu’impose la CDPQ Infra.
Nous proposons un système beaucoup plus esthétique, beaucoup plus léger, beaucoup plus rapide, beaucoup plus fiable, beaucoup moins bruyant, beaucoup plus flexible, beaucoup plus adapté au tissu urbain, beaucoup moins envahissant, offrant beaucoup plus d’options de parcours, à l’abri des intempéries et de l’hiver. Un système qui s’inspire davantage du domaine de l’aviation que de celui des chemins de fer. Et par-dessus tout, un système infiniment moins cher que le gros train soi-disant léger de la CDPQ Infra.
Le système que nous proposons n’écrasera pas le tissu urbain. Il pourra circuler au milieu des grandes avenues ou des grands boulevards sans incommoder les résidents des quartiers et sans interférer avec la circulation des véhicules automobiles, des piétons ou des animaux. Il pourra même passer au-dessus de l’autoroute Ville-Marie – ce que ne peut pas faire le REM de la CDPQ Infra – pour poursuivre sa route le long de la rue Notre-Dame jusque dans l’est. Même s’il passait au beau milieu de René Lévesque, il passerait presqu’inaperçu en comparaison du mastodonte du REM.
Notre système pourra, grâce à son accélération rapide, voyager jusqu’à 100 km/h en ville. Et il est même conçu pour voyager à 250 km/h entre les villes.
Voilà le système que la CDPQ Infra devrait adopter pour pouvoir ensuite l’exporter fièrement dans d’autres pays.
Un mur d’indifférence
Mais le grand problème de notre système de transport c’est qu’il fait face à un mur infranchissable. Un mur de scepticisme, quand ce n’est pas un mur de dénigrement et de moqueries.
Notre système est frappé de tabou. Les politiciens refusent d’en parler. Les médias refusent d’en parler ou quand ils en parlent c’est pour le ridiculiser. Les citoyens refusent d’en entendre parler pour le seul prétexte qu’il est aérien et que tout ce qui est aérien est mauvais, à priori.
Et pendant ce temps, à la CDPQ Infra on forme des comités consultatifs opaques et secrets avec lesquels il est impossible de communiquer. On organise des consultations bidon où les questions sont choisies à l’avance. On refuse de donner l’heure juste. On projette de massacrer le centre-ville et les quartiers populaires de Montréal pour les deux prochains siècles à venir.
Les médias brassent leurs petits dossiers comme si de rien n’était. On n’entend jamais parler de recherches, d’enquêtes ou de fouilles en profondeur. On vague à son petit traintrain habituel et on traite du sujet avec résignation, comme d’un fait accompli qu’il est impossible de rectifier, en se contentant de relayer les communiqués de CDPQ Infra et de ses partenaires, en annonçant leurs décisions, sans davantage les questionner. Sans remuer ciel et terre pour révéler toute l’absurdité et les dangers de cette entente pour le bien-être des citoyens et le tissu urbain de la plus grande ville du Québec et la 2e plus grande ville du Canada.
Et les chroniqueurs attitrés s’amusent à trouver des solutions fantaisistes qui n’ont absolument aucune chance de voir le jour. Alors que le projet de destruction, lui, avance lentement mais sûrement.
Cet article a été envoyé à l’émission Le 15-18, Première chaîne de Radio-Canada, à La Presse, à Le Devoir et à L’Actualité.
René Gendron
Secrétaire et responsable des communications, Coopérative du Monorail à Grande Vitesse